ARTICLE
2 septembre 2024
Auteur : Catherine Huguet
Crise écologique : les enjeux du système de santé
Introduction
Dans un contexte de crise écologique amené à s’accentuer année après année, le secteur de la santé fait face à un double enjeu : réduire son impact sur l’environnement tout en préservant la santé de l’Homme, et anticiper les changements à venir pour pouvoir continuer à soigner dans un monde contraint.
Comment s’approprier ces enjeux et construire un système de santé durable ?
Pour répondre à cette question, il convient de comprendre les problématiques de chacun de ses acteurs.
Des instances réglementaires pilotent et organisent notre système de santé aux niveaux régional et national. Ce sont par exemples le ministère de la santé, l’assurance maladie, les CPAM et les ARS.
Au niveau local, une multiplicité d’acteurs se dédie à la prise en charge des patients et dispense les soins. Ils constituent la pierre angulaire du système de santé. Ces acteurs se scindent en trois catégories :
- les structures de ville dites aussi ambulatoires (médecins généralistes et spécialistes, pharmaciens, …) ;
- les établissements hospitaliers (hôpitaux publics, cliniques privées à but lucratif et établissements privés d’intérêt collectif) ;
- les établissements médico-sociaux (EHPAD, structures pour personnes handicapées).
Les industriels du médicament et du dispositif médical approvisionnent cet écosystème en produits médicaux.
Des acteurs unis autours d'une vocation : préserver et promouvoir la santé
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité »[2]. Elle considère la santé comme un droit fondamental de tout être humain. Le système de santé a vocation à répondre à ce besoin et à ce droit d’être soigné et en bonne santé.
Un système qui fait face à de nouveaux enjeux
Un système non neutre sur l'environnement et donc sur la santé
Notre système de soins actuel, de par son impact sur l’environnement, contribue indirectement à la dégradation de notre santé et en ce sens dessert son propre objectif.
Dans le Tableau 1, 6 des 9 impacts (identifiés comme limites planétaires) dont sont responsables les activités humaines en général sont listés. Sans être le seul responsable, la manière dont y contribue notre système de santé y est décrite, ainsi que les conséquences sur notre état de santé associées.
Limite planétaire |
Contribution du système de santé |
Impacts sur notre santé |
Changement climatique |
Consommation d’énergies fossiles et émissions de GES |
Phénomènes climatiques extrêmes, plus de : · Maladies respiratoires et cardiovasculaires (suite aux incendies) · Chocs et troubles psychologiques · Maladies infectieuses (dues aux déplacements d’espèces) · Dérégulation thermique (due à l’humidité et la chaleur) |
Augmentation des aérosols dans l’atmosphère |
Via les émissions de GES |
Augmentation des maladies pulmonaires et cardio-vasculaires |
Érosion de la biodiversité |
Pollution des eaux lors de l’évacuation des médicaments ou à la sortie des zones industrielles Essais cliniques Déchets plastiques |
Mal-être Malnutrition Risque d’épidémie et maladies infectieuses Perte de médicaments innovants |
Introduction d’entités nouvelles |
Pollution des eaux (perturbateurs endocriniens, antibiotiques) Déchets |
Maladies infectieuses [3] Cancers Effet négatif sur la fertilité [4] Antibiorésistance [5] Impacts indirects via l’impact sur la biodiversité |
Acidification des océans |
Via les émissions de GES |
Impacts indirects via l’impact sur la biodiversité |
Cycle de l’eau douce |
Consommations d’eau douce pour la production de médicaments/DM et le fonctionnement des établissements |
Manque d’eau Malnutrition |
Tableau 1 : Contribution du système de santé aux déséquilibres
Au vu des impacts du système de santé sur notre environnement, et notamment de son impact sur le dérèglement climatique, le système de santé doit réduire sa contribution à la crise écologique à laquelle nous faisons face.
Non seulement c’est une responsabilité, mais c’est également une nécessité pour pouvoir continuer à soigner dans un monde contraint.
Des enjeux de résilience
Les conséquences de la crise écologique ont un impact sur notre santé, mais également sur le système de santé en lui-même. Dans un monde où de nouvelles maladies émergent, où des ressources viennent à manquer (énergies fossiles, eau) et où les phénomènes climatiques extrêmes sont de plus en plus fréquents et intenses, c’est un véritable enjeu de résilience auquel le système de santé fait face.
Les principaux défis à relever sont de :
- Préserver les infrastructures en cas de phénomène climatique extrême (crue, incendie, sécheresse, …) ;
- Faire face aux nouveaux défis thérapeutiques et aux conséquences sanitaires d’événements climatiques extrêmes :
-
- Pour les industriels :
- Avoir des capacités de production adaptables (à un besoin urgent de produire une nouvelle molécule en grandes quantités par exemple) ;
- Être capable de développer de nouveaux traitements en urgence ;
- Pour les industriels :
-
- Pour les établissements de soins :
- Proposer des mesures d’urgence ;
- Être capable de soigner et d’accueillir dans de bonnes conditions et de promulguer les soins nécessaires à temps ;
- Avoir une organisation permettant d’absorber les aléas (personnel disponible, plan blanc, …) ;
- Pour les établissements de soins :
- Garantir la production de médicaments et de dispositifs médicaux :
- Anticiper les pénuries de ressources (énergies fossiles, eau…) ;
- Sécuriser l’approvisionnement de matières premières, souvent produites dans des régions du monde éloignées et d’autant plus vulnérables au changement climatique et à ses conséquences ;
- Garantir l’accès au soin :
- Pouvoir accéder physiquement aux structures de soin ;
- Garantir un accès juste et équitable à chaque personne ;
- Pouvoir accueillir chaque personne en nécessité de soin.
Enfin, au-delà des enjeux climatiques auxquels fait face le secteur de la santé, l’adaptation du système de santé doit prendre en compte la raréfaction des énergies fossiles. Notre système est hautement dépendant de ces énergies qui devraient atteindre leurs pics dans les prochaines années, et dont le prix est très volatil en fonction des événements géopolitiques et climatiques. Par exemple, en cas de crise du pétrole, nous pourrions être confrontés à des pénuries de certains médicaments tandis que d’autres pourraient voir leur coût augmenter drastiquement.
Pistes d'action
Pour commencer : le bilan des émissions de gaz à effets de serre (BEGES)
Face à la complexité des enjeux qui touchent le secteur de la santé, nous préconisons à tous les acteurs du secteur, qu’ils soient industriels privés ou établissements publics, de réaliser leur bilan d’émissions de gaz à effet de serre.
Le bilan d’émissions de gaz à effet de serre réalisé au périmètre des 3 scopes de la structure permet d’avoir une vision factuelle et quantifiée de ses postes d’émissions. Il sert de base pour :
- Établir la stratégie de décarbonation de la structure (prioriser les actions et se projeter à court, moyen, long termes) ;
- Suivre ensuite les évolutions des émissions de la structure dans le temps.
En France, le bilan GES du secteur de la santé dans sa globalité a été dressé par The Shift Project [6]. Il arrive aux conclusions suivantes :
- L’empreinte carbone du secteur de la santé est estimée en moyenne à 49 MtCO2eq, ce qui correspond à 8% de l’empreinte nationale ;
- Plus de 85% des émissions sont des émissions indirectes ;
- L’achat de médicaments et dispositifs médicaux représente 50% des émissions de GES.
Le périmètre de l’étude réalisée est détaillé en Figure 3 [7]. Les résultats principaux sont présentés en Figure 4 [8].
Au début de la chaîne de valeur : l'industrie
Le poids de l’industrie du médicament et du DM est représenté via les postes achats de médicaments et achats de dispositifs médicaux respectivement. Ces deux postes représentent la moitié du bilan GES du secteur de la santé en France.
Au vu de l’importance de ces deux postes, réaliser leur bilan GES précis, voire quantifier l’empreinte carbone par médicament, permettra aux industriels d’identifier leurs propres leviers d’action. Ils sont de plusieurs sortes :
- Achats* : mettre en place une politique d’achats durables, rendre obligatoire la communication de l’empreinte carbone ou environnementale de la matière achetée ou encore donner un poids dimensionnant au critère environnemental dans le choix des fournisseurs ;
- Production : remplacer les solvants par des solvants verts, développer de nouvelles techniques de synthèse chimique, améliorer les conditionnements, optimiser les flux logistiques, optimiser les paramétrages des CTA, réduire les points de consigne de température, réduire les fuites sur les réseaux...[9]
- Leviers génériques :
o Développer les bonnes pratiques de mobilité (télétravail, covoiturage, politique déplacements professionnels…) ;
o Isoler thermiquement les bâtiments ;
o Développer une politique de réemploi et de réduction des déchets ;
o Proposer une alimentation moins carnée dans les cantines ;
o Optimiser les transports logistiques.
La mise en transition des industriels de la santé s’inscrit dans un contexte où la réglementation se renforce d’une part avec la CSRD, mais d’autre part il est aussi envisagé de conditionner la délivrance ou le renouvellement de l’AMM à la publication de l’empreinte carbone des médicaments [10]. S’engager dans une démarche de réduction de son empreinte environnementale devient un incontournable pour rester compétitif.
*Remarque : au périmètre d’un laboratoire pharmaceutique, les achats sont eux-mêmes estimés à 55% de leurs émissions de GES [11].
Au bout de la chaîne : le patient et la structure de soin
Concernant les achats de médicaments et dispositifs médicaux, les établissements de santé sont encouragés à développer des politiques achats durables qui rendraient obligatoire et déterminante la communication de l’empreinte carbone par produit dans les appels d’offres [12].
Un levier essentiel pour les professionnels de santé repose également sur la réduction du volume de médicaments et de dispositifs médicaux consommés ou gaspillés [13].
D’autres leviers génériques sont actionnables tels que : isoler les bâtiments, mettre en place une politique de mobilité douce, proposer une alimentation moins carnée…[14]
Enfin, il est possible de reconsidérer les parcours de soins dans leur ensemble et de les repenser en réduisant non seulement leur impact carbone mais également leur impact environnemental (biodiversité, pollution des eaux, …) : c’est l’ACV des parcours de soin. Cela permet de faire des choix éclairés dans le traitement des patients.
De la nécessité de travailler ensemble
Des pistes d’action ont été mentionnées ci-dessus, à l’échelle des industriels ou des professionnels de santé. Cependant, la transition ne se fera pas sans un travail conjoint entre les différents acteurs du système de santé.
D’une part, car il est nécessaire de repenser à long terme le système de santé dans sa globalité pour atteindre les objectifs fixés par l'accord de Paris (à savoir, limiter le réchauffement climatique en-dessous de 2°C d’ici la fin du siècle, si possible 1,5°C) : cela implique de changer de paradigme et de passer d’un système basé sur la prévention et la promotion de la santé et moins sur le soin curatif.
D’autre part, car nous faisons face à une problématique globale, où les décisions des uns (via les politiques d’achats par exemple) engagent les autres, où les alternatives techniques sont à construire, et où le scope 1 d’un acteur représente le scope 3 d’un autre et vice-versa.
C’est pourquoi, en plus des initiatives individuelles, il est essentiel de former des groupes de travail, d’imaginer et de créer des solutions ensemble à toutes les échelles de réflexion. Le consortium « Pharma-Recharge » est un exemple inspirant : plusieurs laboratoires pharmaceutiques et acteurs de l’économie circulaire ont mis au point une borne de recharge vrac de 15 de leurs produits dermo-cosmétiques afin de réduire les emballages [15].
Conclusion
Pour le système de santé, l’enjeu dans la réduction de son empreinte environnementale est double : bien sûr, il a une responsabilité en tant que telle en tant que contributeur à la crise écologique. Mais il a aussi le devoir de préserver la santé du patient en créant des conditions favorables à sa bonne santé, et en proposant un système soutenable et durable face aux crises à venir.
Cela passe dans un premier temps par le diagnostic : le bilan GES bien sûr, mais également la réalisation d’un état des lieux de l’efficacité hydrique, ou d’un diagnostic biodiversité par exemple.
Cette phase est essentielle pour valoriser les actions déjà en place, identifier les plus grosses marges de manœuvre et construire des plans d’action à la hauteur des enjeux de la structure concernée, alignés avec les objectifs nationaux.
Enfin, il est important de souligner que cette transition doit se faire à plusieurs échelles : à l’échelle du professionnel de santé ou de l’employé de l’industrie dans ses gestes quotidiens, à l’échelle de la stratégie de chaque structure, et aux échelles locales, régionales et nationales avec les instances décisionnelles et les syndicats. Des groupes de travail entre acteurs de mêmes métiers ou filières peuvent être également constitués.
En premier lieu, ne pas nuire : tel est le serment des professionnels de santé. La crise écologique donne à cette promesse une dimension nouvelle.
Notes et références
Glossaire
- ACV : Analyse de Cycle de Vie
- AMM : Autorisation de Mise sur le Marché
- ARS : Agence Régionale de Santé
- Bilan GES : bilan d’émissions de gaz à effet de serre
- CPAM : Caisse Primaire d’Assurance Maladie
- CSRD : Corporate Sustainability Reporting Directive
- CTA : Centrale de Traitement d’Air
- DM : Dispositif Médical
- GES : gaz à effet de serre
- Limite planétaire : concept défini par les chercheurs du Stockholm Resilience Center en 2009. Seuils au-delà desquels les équilibres naturels terrestres pourraient être déstabilisés et les conditions de vie devenir défavorables à l’humanité
- Scopes 1/2/3 : ancienne catégorisation des émissions. Scope 1 : émissions directes, scope 2 : indirectes associées à l’énergie, scope 3 : autres émissions indirectes.
- t CO2eq : tonnes CO2 équivalent, masse de dioxyde de carbone émise ou pour un autre gaz à effet de serre, masse de dioxyde de carbone qui aurait le même potentiel de réchauffement climatique qu’une quantité donnée de ce gaz.
Références et liens externes
[1] Page Web : sante.gouv.fr Système de santé, medico-social et social – pour une prise en charge globale de la personne. 03/03/2022 – consultée le 25/06/2024. https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/systeme-de-sante/article/systeme-de-sante-medico-social-et-social
[2] Page Web : Organisation mondiale de la Santé – Vos Questions les plus fréquentes – consultée le 25/06/2024 https://www.who.int/fr/about/frequently-asked-questions
[3] Page Web : Santé Publique France – Quels sont les risques liés à la pollution de l’eau ? mis à jour le 20/06/2023 – consultée le 04/07/2024. https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/pollution-et-sante/eau/les-enjeux-de-sante/quels-sont-les-risques-lies-a-la-pollution-de-l-eau
[4] Page Web : Santé.fr – La pollution diminue-t-elle la fertilité ? 03/06/2024 – consultée le 11/07/2024 https://www.sante.fr/decryptage/nos-reponses/la-pollution-diminue-t-elle-la-fertilite#:~:text=De%20nombreuses%20études%20décrivent%20un,mener%20la%20grossesse%20à%20terme.
[5] Page Web : sante.gouv.fr “Une seule santé : l’antibiorésistance concerne les hommes mais aussi les animaux et l’environnement » 14/11/2023 – consultée le 22/07/2024 https://sante.gouv.fr/prevention-en-sante/les-antibiotiques-des-medicaments-essentiels-a-preserver/des-antibiotiques-a-l-antibioresistance/article/une-seule-sante-l-antibioresistance-concerne-les-hommes-mais-aussi-les-animaux#:~:text=Dans%20une%20moindre%20mesure%2C%20l,champs%20ou%20les%20nappes%20phréatiques.
[6] Décarboner la santé pour soigner durablement – dans le cadre du Plan de Transformation de l’Economie Française – Rapport final V2 – Avril 2023
[7] Décarboner la santé pour soigner durablement – impact climatique du secteur de la Santé en France – Calculs 2023 The Shift Project - Infographie
[8] Idem
[9] Décarbonation des industries et technologies de santé - Volet 1 : Feuille de route de la filière pharmaceutique – 15/04/2023
[10] Décarboner la santé pour soigner durablement – dans le cadre du Plan de Transformation de l’Economie Française – Rapport final V2 – Avril 2023
[11] Décarbonation des industries et technologies de santé - Volet 1 : Feuille de route de la filière pharmaceutique – 15/04/2023
[12] Décarboner la santé pour soigner durablement – dans le cadre du Plan de Transformation de l’Economie Française – Rapport final V2 – Avril 2023
[13] Idem
[14] Idem
[15] Page Web : « 5 laboratoires s’unissent pour proposer ensemble une solution de recharge en pharmacie » – 22/06/2023 – consultée le 16/07/2024 https://www.expanscience.com/sites/default/files/press_release/PHARMA_RECHARGE_CP_220623_0.pdf
Catherine Huguet
Consultante senior
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