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Lundi 19 février 2024

Auteur : Jade Surdeau

L’émergence et l’institutionnalisation de l’adaptation au changement climatique au sein des EPCI français : état des lieux, et étude du levier de l’innovation organisationnelle

Introduction 

 

Les changements climatiques s'accentuent, entraînant avec eux une montée d'incertitude quant à notre aptitude à nous prémunir de leurs effets de manière efficace. Face à cette situation, des démarches d’adaptation se multiplient, tant au niveau national qu’au niveau local, afin de parer aux conséquences imprévues. 

Au cœur de cette dynamique d’adaptation, insufflée dans un premier temps à l’échelle nationale, l'échelon local semble le plus à même de répondre à ces défis, grâce à l'implication des entités de planification telles que les Établissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI). Ces structures sont investies de la responsabilité d'élaborer le Plan Climat-Air-Énergie Territorial (PCAET), qui définit notamment la feuille de route pour l'adaptation spécifique de chaque territoire. 

Figure 1 : Cadre normatif pour l’adaptation au changement climatique en France  

Source : (Chavez et al., p. 435)

Cependant, tant en France qu'à l'échelle internationale, est constaté un décalage préoccupant entre les ambitions d'adaptation et leur concrétisation opérationnelle à l’échelle locale. Les territoires semblent généralement en difficulté face à l'urgence des changements climatiques déjà en cours, et à venir. 

Cette latence entre leurs ambitions et l’avancement réel de leurs démarches s'explique souvent par des contraintes financières et la limitation de leurs ressources humaines, qui constituent des freins de taille. Néanmoins, d'autres obstacles, probablement plus faciles à contourner, contribuent également à cette situation. Quels sont-ils ? Et existe-t-il des leviers susceptibles d'être actionnés pour les surmonter et accélérer le processus d'adaptation malgré les défis existants ? 

 

 

Les idées clés de la revue de littérature 

 

L’adaptation est un sujet complexe, difficile à conceptualiser et à concevoir d’un point de vue stratégique par les collectivités planificatrices 

L'adaptation au changement climatique est récente dans l'action publique, marquant un retard dans son intégration politique due à l'accent mis sur les mesures d'atténuation des émissions de gaz à effet de serre. Elle s'est imposée comme un concept intégrateur, regroupant des actions préalablement éparpillées et apportant ainsi une certaine cohérence stratégique à l’ensemble. 

Toutefois, l'adaptation reste un concept flou, perçu différemment selon les acteurs locaux, avec des définitions variées, influencées par les contextes socioéconomiques et géographiques spécifiques.  

Outre la difficulté de sa définition, le sujet de l’adaptation représente un défi majeur, dans la mesure où il a pour vocation de proposer des solutions concrètes à des problèmes mal définis, dans un contexte d'incertitudes élevées. 

L'adaptation et l'atténuation, bien que liées, présentent des distinctions claires en termes de disciplines mobilisées, d'horizons envisagés, et d'échelles de temps, nécessitant des approches différentes. Ainsi, il semble a priori peu pertinent de s’inspirer des succès de diffusion de l’atténuation dans l’action publique pour donner à l’adaptation son heure de gloire.  

Figure 2 : Une territorialisation différenciée entre atténuation et adaptation 

Source : L’institutionnalisation locale des politiques climatiques en France, François Bertrand (reprenant les données de E. Richard et F. Bertrand, 2011) 

L'adaptation au changement climatique rencontre ainsi des obstacles significatifs dans son déploiement par les collectivités territoriales, principalement puisqu’elle ne bénéficie pas de mesures locales préexistantes, à l'inverse de l'atténuation, et manque ainsi de fondations sur lesquelles construire. Elle requiert de plus une compréhension et une approche collectives pour mobiliser une action locale, tout en devant être traitée de manière transversale avec d'autres thématiques environnementales pour éviter un effet de sectorisation. En outre, l'adaptation se heurte à des défis dans sa mise en œuvre à l'échelle territoriale, due à une inadéquation entre les directives nationales et les réalités locales, soulignant la nécessité d'une approche plus flexible et adaptée aux spécificités de chaque territoire. 

 

 

La planification et l’opérationnalisation de l'adaptation au changement climatique par les collectivités planificatrices ont encore du chemin à parcourir 

 

Depuis 2011 et jusqu’à récemment, les analyses ont montré que l'adaptation au changement climatique n’en est souvent qu’à ses débuts dans l'agenda politique, avec des politiques décrites comme relativement superficielles ou incomplètes. Les efforts d'adaptation sont encore jugés insuffisants et inégalement intégrés dans les plans locaux, ne répondant pas adéquatement aux directives clés du GIEC. Notamment, bien que certaines mesures d'adaptation basées sur la nature soient identifiées dans les documents de planification, elles manquent souvent d'opérationnalité et sont déconnectées des objectifs d'adaptation globaux. Malgré la reconnaissance de leur importance, les collectivités territoriales, en particulier les intercommunalités, peinent à exploiter pleinement les outils de planification territoriale pour l'adaptation, face aux défis d'orientation stratégique et d'application pratique. 

L'adaptation au changement climatique peine à s'affirmer face à l'atténuation dans les stratégies politiques, souvent reléguée au second plan malgré sa pertinence immédiate et locale. Alors que l'atténuation domine les documents de planification et les initiatives territoriales, l'adaptation reste en phase de conceptualisation, sans se traduire en actions concrètes. Cette situation suggère une réévaluation nécessaire des priorités politiques. : l'adaptation pourrait offrir des bénéfices directs et visibles aux communautés locales, méritant ainsi une attention accrue, notamment de la part des élus, qui pourraient utiliser ces bénéfices d’un point de vue politique. 

Bien que l'adaptation au changement climatique se construit progressivement une place dans les agendas politiques, sa mise en pratique révèle un manque de changements concrets et une mise en œuvre inégale des politiques publiques. Les analyses soulignent un paradoxe où, malgré une reconnaissance accrue, les actions d'adaptation concrètes sont rares et souvent focalisées de manière importante sur des secteurs spécifiques comme l'eau. Cette situation met en évidence un écart entre les stratégies d'adaptation, souvent théoriques et avec peu de budget dédié, et le besoin d'actions pragmatiques soutenues par des financements appropriés, des indicateurs de performance, et un suivi-évaluation continu. 

 

 

Parmi les nombreux freins au développement de l’adaptation, les freins organisationnels au sein des collectivités planificatrices sont à considérer

 

La recherche a identifié de nombreux obstacles à l'adaptation au changement climatique, reflétant la complexité croissante de ce défi stratégique face à l'intensification des impacts climatiques sur les systèmes humains et naturels. Ces obstacles, couvrant un éventail de considérations psychologiques, cognitives, institutionnelles, et réglementaires, varient largement selon les acteurs et les contextes, rendant difficile une classification uniforme et exhaustive. La tentative de regrouper ces barrières révèle leur présence à plusieurs niveaux, y compris individuel, processuel, et contextuel, tout en soulignant que beaucoup de ces obstacles ne sont pas strictement liés à l'adaptation, mais communs à d'autres domaines de résolution de problèmes complexes. 

Les obstacles à l'adaptation au changement climatique se manifestent à toutes les échelles et affectent tous les acteurs, englobant une gamme variée de barrières depuis les perceptions culturelles et éthiques dans la société jusqu'aux défis réglementaires et administratifs au niveau de l'État. Ces freins incluent également la complexité des relations et la répartition des compétences entre différents niveaux de gouvernance, comme les communes et les intercommunalités, où les priorités économiques locales peuvent entraver une action cohérente en matière d'adaptation. Au niveau politique des élus, l'adaptation est souvent éclipsée par l'atténuation, avec des décideurs qui peinent à associer l'adaptation à des objectifs clairs et tangibles, exacerbé par un manque de sensibilisation aux enjeux climatiques et les contraintes des cycles électoraux sur la planification à long terme. 

Au sein des collectivités territoriales, les obstacles à l'adaptation au changement climatique sont nombreux et principalement liés à leur culture et structure organisationnelle, incluant le manque de sensibilisation, le poids des habitudes, et le cloisonnement interne. Ces défis sont aggravés par des problèmes de ressources humaines, comme le nombre insuffisant d'effectifs ou le besoin de compétences techniques spécifiques. Les réformes administratives constantes et les contraintes financières imposées par l'État ont contribué à cette situation, où les collectivités peinent à adopter des stratégies d'adaptation efficaces, malgré la nécessité de répondre aux défis climatiques croissants. 

Figure 3 : Freins au développement de l’adaptation au changement climatique au sein des collectivités 

Source : Résumé des barrières et leviers hiérarchisés selon les échelles de gouvernance (État, Territoire, Élus et Collectivité) et selon l’IPP (Simonet & Leseur, 2016) 

 

Parmi les solutions identifiées pour accélérer l'adaptation au changement climatique, l'innovation organisationnelle reste un levier encore sous-exploité  

 

Si les obstacles à l'adaptation au changement climatique dans les collectivités territoriales ont été largement étudiés, les leviers organisationnels pour surmonter ces défis ont moins été explorés par la recherche scientifique 

Parmi les solutions proposées, l'amélioration de la communication et des échanges d'informations, la promotion de la transversalité dans les dynamiques de travail, et la sensibilisation ainsi que la formation continue des employés sur les enjeux climatiques sont cruciales. De plus, encourager la cohésion interne et clarifier les intitulés des services pour refléter l'importance de l'adaptation sont vus comme des étapes essentielles. L'implication active des agents dans la mise en œuvre des plans d'adaptation, leur offrant une marge de manœuvre dans leur création et gestion, est également soulignée comme un levier important pour renforcer l'engagement et assurer l'efficacité des actions d'adaptation. 

Le secteur public est souvent perçu comme peu enclin au changement et à l'innovation, en partie à cause de contraintes légales et politiques qui restreignent sa capacité d'innover. La rigidité des processus décisionnels, l'obligation de continuité des services, et la redevabilité publique limitent la prise de risque et l'expérimentation. De plus, les réformes visant à introduire des pratiques de gestion inspirées du secteur privé ont généré une tension entre les objectifs de performance et l'impératif d'innovation managériale. Cette situation est particulièrement problématique pour des projets territoriaux comme l'adaptation au changement climatique, qui nécessitent des ressources importantes et offrent des bénéfices moins immédiats, exigeant un équilibre entre innovation et contraintes budgétaires. 

Néanmoins, contrairement à l'image stéréotypée de résistance au changement, le secteur public a connu une multitude de réformes et d'innovations, tant structurelles que managériales, impulsées de l'extérieur ou développées de l'intérieur. Ces innovations, qui incluent les changements organisationnels, technologiques, et de gouvernance, visent à améliorer le fonctionnement et les résultats des organisations publiques, notamment face aux contraintes économiques croissantes. Les innovations organisationnelles, en particulier, sont reconnues pour leur contribution à la performance financière et à l'efficacité organisationnelle, reflétant un effort continu des administrations publiques pour découvrir de nouveaux modes de gestion, augmenter leur flexibilité et répondre de manière plus efficace aux besoins de la société. 

L'innovation organisationnelle au sein des organisations publiques varie considérablement, avec certaines collectivités étant plus aptes que d'autres à adopter de nouvelles pratiques, comme le télétravail. Cela s'est révélé notamment pendant la pandémie de Covid-19, mettant en lumière des lacunes structurelles et de gestion au sein de certaines collectivités, et des prouesses chez d’autres. De plus, l'absence d'évaluation et de bilan des changements passés peut entraver la capacité des organisations publiques à capitaliser sur leurs expériences pour favoriser l'innovation. 

L'adaptation au changement climatique nécessite un mode d'organisation qui favorise la transversalité et soit capable de gérer à la fois la gestion de crise et l'anticipation à long terme. Or, actuellement, le cloisonnement et le manque de communication entre les services entravent cette approche transversale. Des modes organisationnels tels que l'administration de projet, inspirés du management agile, favorisent la culture du projet et la souplesse, mais leur déploiement est encore en cours et nécessite des initiatives pour accélérer leur diffusion, telles que la mise à disposition de guides par le gouvernement. 

 

 

La démarche de recherche 

 

La revue de littérature effectuée a révélé des difficultés à organiser et à concrétiser l'adaptation aux changements climatiques. Cependant, il convient de noter que cette revue de littérature possède ses sources les plus récentes autour de 2015 à 2018, et depuis, les récents événements climatiques ont pu changer la donne, la situation évoluant rapidement. Par conséquent, une actualisation de la revue de littérature est nécessaire pour comprendre les développements récents. 

De plus, cette revue de littérature met en évidence l'importance de l'aspect organisationnel et de l'innovation organisationnelle dans le contexte de l'adaptation au changement climatique. Pour approfondir cette perspective, plusieurs questions se posent : 

  • L'adaptation au changement climatique a-t-elle pris de l'ampleur au sein des intercommunalités ? 
  • Comment les intercommunalités se sont-elles organisées pour traiter le sujet de l'adaptation ? 
  • Existe-t-il des étapes clés par lesquelles passent les intercommunalités pour institutionnaliser le sujet de l'adaptation au changement climatique ? 
  • Existe-t-il d'ores et déjà des modes d'organisation innovants au sein des intercommunalités qui facilitent le développement du sujet de l'adaptation ? 
  • Ces modes d'organisation innovants sont-ils liés à de meilleures performances opérationnelles de la thématique adaptation dans les collectivités planificatrices concernées ? 

 

À partir de ces questions, nous avons formulé les hypothèses suivantes : 

 

  • L'institutionnalisation de l'adaptation au changement climatique s'est intensifiée ces dernières années, malgré un apparent immobilisme d'un point de vue du citoyen. 
  • L'institutionnalisation de l'adaptation se déroule au sein des EPCI selon une suite d'étapes similaires d'une collectivité à l'autre, que l'on pourrait généraliser en un schéma type de développement de ce sujet politique. 
  • L'innovation organisationnelle joue un rôle important dans le développement de l'adaptation et dans son institutionnalisation dans les organisations planificatrices. 

 

Tableau 1 : Profils des collectivités interrogées 

 

Type d’intercommunalités 

Nb de communes 

Population 

Collectivité 1 

Communauté d’agglomération 

[40 ; 50] 

50 000+ hab. 

Collectivité 2 

Communauté d’agglomération 

[20 ; 30] 

150 000+ hab. 

Collectivité 3 

Communauté d’agglomération 

[30 ; 40] 

100 000+ hab. 

Collectivité 4 

Communauté urbaine 

[20 ; 30] 

500 000+ hab. 

 

Tableau 2 : Informations sur les entretiens et leur utilisation 

 

Nb d’entretiens effectués 

Temps d’échange total 

Utilisation des entretiens 

Collectivité 1 

3 entretiens 

3h33min 

Étude de cas collectivité 

Collectivité 2 

4 entretiens 

3h54min 

Étude de cas collectivité 

Collectivité 3 

3 entretiens 

3h10min 

Étude de cas collectivité 

Collectivité 4 

2 entretiens 

1h59min 

Témoignages individuels 

 

Tableau 3 : Informations sur les personnes interrogées 

 

Profils 

Temps d’échange 

C1001 

Directeur Transition écologique et adaptation 

1h13min 

C1002 

Chargé de mission Développement durable 

1h15min 

C1003 

VP Développement durable et transition écologique 

1h05min 

C2001 

Chargé de mission Stratégie bas carbone 

48min 

C2002 

Urbaniste, Adjoint au directeur des Études Urbaines 

1h00min 

C2003 

Chargé de mission Climat-énergie 

1h05min 

C2004 

Chargé de mission Milieux naturels et biodiversité 

1h01min 

C3001 

VP Transitions écologiques et énergétiques 

1h10min 

C3002 

Directeur du Cycle de l’eau 

1h10min 

C3003 

Directeur Transition écologique 

50min 

C4001 

Conseiller Eau-énergie-ressources naturelles 

1h04min 

C4002 

Conseiller Energie-climat 

55min 

 

 

Les principaux résultats 

 

Le sujet de l’adaptation au changement climatique entre dans une nouvelle phase d'émergence 

 

L'adaptation au changement climatique est devenue un sujet politique au sein des intercommunalités en France ces dernières années, en grande partie en raison de la réglementation qui exige l'intégration de cette thématique dans les plans climat-énergie territoriaux (PCAET). Cette réglementation a joué un rôle clé dans la prise de conscience de l'adaptation comme enjeu stratégique. De plus, une partie de la population, particulièrement sensible aux enjeux environnementaux, a contribué à sensibiliser les intercommunalités à ces questions, de l’intérieur ou de l’extérieur. Cependant, au départ, cette sensibilisation était portée par un nombre limité de personnes au sein des intercommunalités, et l'adaptation se limitait principalement à des actions de sensibilisation et de pédagogie envers la population, sans véritables mesures opérationnelles. 

Les dernières années ont été marquées par des événements climatiques extrêmes tels que canicules, sécheresses, inondations, feux de forêt, et submersions marines, qui ont eu un impact significatif sur différents territoires. Ces événements ont laissé une forte impression dans l'esprit des populations et ont contribué à rendre le changement climatique tangible et concret. Ils ont ainsi joué un rôle essentiel en sensibilisant les acteurs des intercommunalités à l'importance de l'adaptation au changement climatique. En conséquence, le sujet climatique est devenu et devient encore, dans une certaine mesure, incontournable et essentiel pour les acteurs locaux. 

Le renforcement de la prise en compte de l'adaptation au changement climatique se manifeste au sein des intercommunalités par la reconnaissance du terme "adaptation au changement climatique" et la construction d'une définition, l'adoption progressive de cette terminologie dans l'ensemble des intercommunalités, touchant un éventail plus large d'agents et d'élus, ainsi que la sensibilisation croissante à la question de l'adaptation, avec une préoccupation globale et une certaine formation des acteurs. Cette évolution est perçue comme positive, avec une meilleure capacité d'écoute et de discussion autour des enjeux climatiques. 

 

 

Malgré ce nouvel élan d'émergence, l'adaptation au changement climatique se construit une place encore confuse et discrète dans la stratégie des intercommunalités

 

L'adaptation au changement climatique est complexe à conceptualiser en raison de sa nouveauté et de sa nature englobante, regroupant des missions anciennes et nouvelles. De plus, elle implique deux dynamiques temporelles distinctes, la gestion des crises immédiates et l'anticipation des futurs climatiques, ce qui peut créer des défis en matière de priorités. Enfin, l'adaptation est souvent associée à d'autres concepts environnementaux, ce qui peut entraîner de la confusion dans sa compréhension et sa mise en œuvre. 

Le portage politique de l'adaptation au changement climatique varie considérablement d'une intercommunalité à l'autre. Dans certaines collectivités, des élus sensibilisés et compétents en matière environnementale, y compris d'adaptation, jouent un rôle clé. Cependant, ils sont souvent seuls à porter cette thématique et doivent gérer de nombreux enjeux liés à la transition écologique, ce qui peut constituer un défi. Malgré le consensus général sur la nécessité d'agir contre le changement climatique, des tensions peuvent surgir entre les élus autour des moyens à mettre en œuvre, notamment sur des sujets spécifiques comme la gestion de l'eau. De plus, l'adaptation peut être perçue négativement par certains politiques locaux, comme un aveu d'échec par rapport aux politiques d'atténuation, ce qui peut contribuer à un manque d'attention envers cette dimension du changement climatique. 

Également, l'adaptation au changement climatique fait face à des freins politiques similaires à d'autres sujets d'action publique. Les élus, souvent surchargés de responsabilités et de décisions politiques, ont peu de temps pour se former sur des questions techniques complexes, ce qui peut entraver la mise en place de l'adaptation. De plus, la primauté des choix politiques axés sur la popularité et la réélection peut l'emporter sur les décisions basées sur des considérations techniques. Il existe également une tendance à favoriser les intérêts des communes au détriment des intérêts intercommunaux, ce qui peut créer des conflits d'intérêts. Enfin, les changements de mandats politiques peuvent remettre en question les avancées antérieures en matière d'adaptation, ce qui peut entraîner une instabilité dans la prise en compte de ce sujet dans le temps. 

Les stratégies d'adaptation au changement climatique varient considérablement d'une intercommunalité à l'autre et même au sein des intercommunalités, d’un sujet à l’autre. Certaines intercommunalités intègrent l'adaptation de manière importante dans leur stratégie globale, tandis que d'autres la considèrent comme un aspect moins prioritaire. De plus, les sujets spécifiques liés à l'adaptation, tels que la lutte contre les îlots de chaleur, les risques de submersion, ou la gestion de la sécheresse, sont traités de manière inégale d'une collectivité à l'autre en fonction de leurs enjeux locaux. 

Le manque d'unification de l'adaptation dans les stratégies des collectivités se traduit par un manque d'élan mobilisateur au sein des services, qui constatent que l'adaptation mobilise moins que l'atténuation. De plus, il n'y a pas de compréhension et de définition communes de l'adaptation au changement climatique parmi les agents et élus des intercommunalités, ce qui crée des écarts dans leur niveau de sensibilisation et d'acculturation. En l'absence d'un élan mobilisateur, les agents s'approprient (ou non) la thématique de l'adaptation de manière personnelle, en fonction de leurs missions et de leurs intérêts, ce qui contribue à la diversité des approches. En comparaison, la démarche d'atténuation bénéficie d'une meilleure visibilité et d'un partage plus large, tandis que l'adaptation reste timide et peu visible. 

 

 

Des stratégies hétérogènes d’adaptation découlent des modèles organisationnels également divers 

 

L'adaptation au changement climatique n'est pas soutenue par une organisation exclusivement dédiée. Dans certaines intercommunalités, le nombre d'agents travaillant sur ce sujet est limité, et il n'y a pas de structure centralisée pour pousser l'adaptation. Cela est particulièrement vrai pour les collectivités qui n'accordent pas une grande importance politique à l'adaptation, et elles traitent ces questions sans centralisation. Dans les collectivités plus engagées dans l'adaptation, il existe une organisation partiellement dédiée, mais aucune instance exclusivement axée sur l'adaptation. Cela reflète l'idée que l'adaptation est étroitement liée à d'autres enjeux environnementaux, notamment l'atténuation du changement climatique, et ne peut pas être envisagée de manière isolée sur le plan organisationnel. 

Il apparaît que le besoin de transversalité dans l'organisation de l'adaptation est bien compris par la plupart des agents des collectivités, conscients que l'adaptation englobe divers horizons temporels, stratégies et thématiques, nécessitant une approche transversale. Certains agents ont déjà initié cette transversalité de leur côté, tandis que d'autres reconnaissent qu'il y a encore du chemin à parcourir. Les collectivités ont traditionnellement fonctionné en silos, entravant la transversalité, mais des interactions informelles entre agents ont permis de combler partiellement ce manque. Cependant, il est largement admis que davantage d'efforts doivent être déployés pour renforcer la transversalité en vue de promouvoir l'adaptation. Certains agents notent que cela peut être chronophage et exiger des ressources considérables, mais ils considèrent cela comme essentiel au développement de l'adaptation. La communication et la compréhension des missions de chacun en interne sont également des défis à relever pour favoriser la transversalité. 

Certaines intercommunalités ont mis en place, au cours des cinq dernières années, des pratiques innovantes destinées à améliorer leurs performances globales, et ainsi, indirectement, leurs performances sur le sujet de l’adaptation. Parmi ces mesures, on trouve la restructuration de l'organisation avec la création de directions spécifiques dédiées aux enjeux environnementaux, ainsi que des recrutements stratégiques pour développer l'expertise technique nécessaire. De plus, des trajectoires détaillées et des objectifs responsabilisants ont été établis pour orienter les collectivités vers des actions concrètes en matière d'adaptation. Des initiatives de sensibilisation et de formation ont également été mises en place pour accroître la prise de conscience et les compétences techniques nécessaires. Enfin, des temps de travail collectifs sur des sujets transversaux, ainsi que des formats de communication innovants, contribuent à dynamiser ces démarches d'innovation organisationnelle. 

Les innovations organisationnelles mises en place dans certaines intercommunalités montrent des effets positifs sur leur fonctionnement interne. Ces initiatives ont favorisé la rencontre entre les agents et ont permis une meilleure connaissance des projets de l'agglomération. Les agents se sentent plus responsabilisés et impliqués, ce qui renforce leur confiance et leur capacité à soumettre des idées. De plus, ils comprennent mieux les apports potentiels qu'ils peuvent avoir sur les thématiques des autres services. Ces pratiques d'innovation organisationnelle semblent contribuer à accroître la transversalité au sein des intercommunalités, ce qui est essentiel pour aborder des sujets tels que l'adaptation, même si ce n’était pas nécessairement leur objectif initial. 

 

 

Ce manque d'organisation sur l'adaptation se traduit en une opérationnalisation encore timide 

 

Dans les entretiens, les agents ont mentionné la mise en place de certaines actions dans le sens de l'adaptation au changement climatique. Ces actions sont de différentes natures, couvrant des domaines tels que la végétalisation ou la rénovation thermique des bâtiments. La présence d'une ingénierie compétente au sein des collectivités a été soulignée comme un facteur permettant la réalisation de ces actions. Il est intéressant de noter que ces actions sont mises en place même dans des collectivités qui n'ont pas nécessairement une approche unifiée de la thématique de l'adaptation, ce qui suggère que la conceptualisation unifiée n'est pas toujours nécessaire pour l'opérationnalisation de telles actions. Cependant, dans ce cas, ces actions sont souvent réalisées de manière sectorielle et ponctuelle. 

Les agents et élus interrogés expriment des doutes et des frustrations quant au manque d'opérationnalité de l'adaptation aux changements climatiques au sein de leurs intercommunalités. Ils estiment que l'opérationnalisation de l'adaptation est encore insuffisante, avec un nombre limité d'actions concrètes entreprises jusqu'à présent, ce qui traduit un faible passage de la planification à l'action. Certains considèrent que les actions menées sont peu ambitieuses et que davantage d'efforts sont nécessaires pour véritablement amorcer la transformation. Parfois, il existe également un décalage entre les mesures proposées dans le cadre d'autres thématiques et les enjeux identifiés dans les études sur l'adaptation, ce qui soulève des questions sur la cohérence des actions entreprises. Les contraintes politiques, notamment la volonté des élus, limitent la capacité des agents à mettre en œuvre des actions conformes à leurs convictions, ce qui génère de la frustration. 

Les intercommunalités sont confrontées à des défis majeurs pour passer à l'action en matière d'adaptation au changement climatique. Outre le problème des ressources financières insuffisantes, le manque de personnel qualifié et de temps constitue un obstacle majeur. Les élus sont souvent submergés par les tâches quotidiennes, limitant ainsi leur engagement envers l'adaptation. De plus, l'absence de données chiffrées sur les impacts potentiels, le manque d'expérience dans la conception de projets d'adaptation, et les incompatibilités entre les documents de planification sont autant de défis à surmonter. Enfin, les conflits sur les moyens à prendre pour atteindre l'adaptation génèrent des discussions sur les mesures à mettre en place, ajoutant à la complexité de la mise en œuvre de l'adaptation au niveau des intercommunalités. 

L'État a mis en place des dispositifs de planification pour l'adaptation au changement climatique, reconnus comme utiles par de nombreuses personnes interrogées. Cependant, des lacunes importantes ont été identifiées, notamment en ce qui concerne l'incohérence entre ces initiatives et les inadéquations entre les orientations proposées et les réalités sur le terrain. De plus, les obligations et incitations réglementaires de l'État pour favoriser l'adaptation ont été jugées insuffisantes. Il existe également un manque de cadre clair, d'indicateurs mesurables et d'outils pratiques pour les intercommunalités. Enfin, l'État n'a pas toujours joué pleinement son rôle attendu en tant qu'acteur clé de l'adaptation, ce qui a suscité des critiques concernant son retard par rapport aux compétences techniques des intercommunalités et son laxisme vis-à-vis de démarches allant à l'encontre des ambitions d'adaptation. 

L'intercommunalité est perçue comme un acteur capable de faciliter la mise en relation des acteurs sur le territoire et de jouer un rôle de catalyseur dans la mise en place d'actions d'adaptation. Cependant, elle est parfois considérée comme un échelon "fourre-tout" vers lequel d'autres délèguent des compétences en cas de difficultés à les assurer à leur échelle. Les responsabilités financières imposées aux intercommunalités par l'État suscitent des préoccupations, surtout dans les cas où elles semblent injustifiées. Malgré le rôle croissant attribué à l'intercommunalité dans l'adaptation, elle se heurte à des limites liées à ses compétences et à ses moyens. Il est nécessaire de réfléchir en profondeur au rôle et aux responsabilités de l'intercommunalité en matière d'adaptation. L'entraide entre les différents échelons est vue comme une solution pour renforcer l'efficacité des actions d'adaptation, nécessitant une collaboration étroite entre les collectivités. Les démarches entreprises par d'autres échelons, notamment les régions, pour accompagner les intercommunalités dans leurs efforts d'adaptation sont jugées utiles. 

 

 

Les principales conclusions 

 

Depuis la revue de littérature, l'adaptation au changement climatique a gagné en importance en raison des événements climatiques extrêmes récents. Cela s'est traduit par une émergence du sujet au sein des collectivités, une certaine démocratisation du concept, et une meilleure intégration dans les politiques climatiques locales, bien que les obligations réglementaires restent limitées. Cependant, malgré cette prise de conscience renforcée, l'institutionnalisation de l'adaptation progresse lentement, en grande partie en raison de freins persistants tels que le manque de transversalité. En parallèle, certaines collectivités montrent un intérêt croissant pour l'innovation organisationnelle, visant à améliorer la productivité des agents sur l'ensemble des thèmes, y compris l'adaptation au changement climatique. 

L'hypothèse concernant l'innovation organisationnelle et son impact sur le développement de l'adaptation au changement climatique a été examinée. Certaines intercommunalités ont mis en place des pratiques innovantes et ont montré des améliorations dans la transversalité, ce qui est crucial pour l'adaptation au climat. Cependant, il n'a pas été possible de déterminer si ces pratiques innovantes se traduisent par un plus grand nombre ou une plus grande ambition d'actions en raison des limites temporelles de l'étude. De plus, cette recherche semble anticiper le développement sur le terrain, qui progresse encore lentement, et les collectivités expriment un besoin de temps pour mettre en place des actions significatives. 

Il n'a pas été possible d'établir une chronologie standard pour le développement de l'adaptation au changement climatique au sein des intercommunalités. Chaque collectivité a sa propre temporalité et il n'est pas nécessaire d'avoir complètement conceptualisé le sujet ou d'avoir mis en place une organisation dédiée pour prendre des mesures opérationnelles. De plus, le développement de l'adaptation est fortement influencé par des facteurs politiques tels que les changements de mandats, qui peuvent le rendre plus ou moins visible. Il dépend également de la capacité humaine à se souvenir et à apprendre de manière durable, ce qui peut entraîner des phases de progrès suivies de régressions. Ainsi, il n'existe pas de modèle linéaire ou standardisé pour le développement de l'adaptation au sein des intercommunalités. 

Triptyque du développement de l’adaptation aux changements climatiques 
en tant que sujet de l’action publique 

 

La mise en place de l'adaptation au changement climatique au sein des intercommunalités est complexe en raison de la double-dynamique d'anticipation et de gestion de crise, ainsi que de l'incertitude liée au changement climatique lui-même. De plus, l'adaptation est étroitement liée à d'autres enjeux environnementaux, ce qui complique sa conceptualisation indépendante. Les mesures d'adaptation et d'atténuation sont souvent interconnectées, ce qui rend difficile la mise en place de politiques distinctes. En fin de compte, le développement de l'adaptation exige une réflexion globale et une intégration de multiples thématiques. 

Le rôle des intercommunalités dans l'adaptation au changement climatique est en constante évolution, avec des attentes croissantes de la part des autres échelons administratifs. Elles sont devenues des acteurs essentiels de la planification de l'adaptation, rédigeant des schémas directeurs et des stratégies territoriales. Cependant, leur rôle opérationnel est limité, ce qui peut expliquer le manque d'opérationnalisation de l'adaptation au sein de ces organisations. Il pourrait être plus bénéfique pour les intercommunalités de faciliter et de coordonner les actions des autres acteurs, notamment les communes, afin de permettre une mise en œuvre plus efficace de l'adaptation au niveau local. 

 

 

Limites et conclusion finale 

 

Cette recherche se concentre sur l'état actuel de l'adaptation au changement climatique au sein de trois intercommunalités en France. Les entretiens réalisés ont révélé une accélération de la prise de conscience de la nécessité de l'adaptation due aux événements climatiques récents, bien que les intercommunalités n'aient pas encore eu suffisamment de temps pour mettre en place une démarche d'adaptation systémique. L'organisation dédiée à l'adaptation au sein des services est encore limitée, ce qui explique le manque d'opérationnalisation et d'ambition dans ce domaine. Bien que certaines pratiques innovantes soient testées, il est encore trop tôt pour établir un lien clair entre ces pratiques et des résultats opérationnels concluants. De plus, la conceptualisation, la structuration et la mise en œuvre de l'adaptation ne suivent pas nécessairement un ordre séquentiel, ce qui rend la situation complexe.  

Ce travail de recherche, bien que riche en informations, présente certaines limites importantes. Tout d'abord, l'échantillon restreint d'intercommunalités étudiées ne permet pas une représentativité générale, limitant ainsi la généralisation des résultats dans le temps et l'espace. De plus, le nombre d'entretiens par collectivité était limité, ce qui a empêché une étude de cas approfondie. Les personnes interrogées ne possédaient pas toutes la même perspective stratégique sur le sujet, ce qui a pu entraîner des réponses plus ou moins nuancées. Enfin, le caractère complexe et conceptuel du sujet a nécessité une réflexion approfondie de la part des interviewés, ce qui n'était pas toujours possible compte tenu du rapport existant entre l’adaptation et leurs missions quotidiennes. 

Finalement, cette recherche offre une vision générale de l'état de l'adaptation au sein des intercommunalités, mais des études de cas approfondies pourraient fournir une compréhension plus détaillée. Il serait également intéressant d'explorer plus en profondeur le lien entre les pratiques organisationnelles innovantes et les résultats opérationnels dans ce domaine. 

Cet article est issu de la synthèse de la thèse professionnelle "L’émergence et l’institutionnalisation de l’adaptation au changement climatique au sein des EPCI français : état des lieux, et étude du levier de l’innovation organisationnelle" (J. Surdeau, 2023)